Le monopole scolaire de la République
La révolution de 1789 entraina une période d’instabilité politique de plus de 80 ans. Trois rois, deux républiques et deux empires se sont succédé à la tête de la France entre la décapitation de Louis XVI le 12 janvier 1793 et la proclamation de la Troisième République le 4 septembre 1870.
Une république qui naquit durant la guerre contre la Prusse et à la suite de la défaite de Sedan le 2 septembre 1870. Cette débâcle militaire, qui causa la chute de Napoléon III et de son empire, continua jusqu’en 1871 et vit la France perdre l’Alsace et la Moselle.
La légitimité de la République fut donc mise à mal dès le début par la défaite, mais aussi par les oppositions nationales : Royalistes, Bonapartistes, Socialistes, etc.
« 1870 est un cataclysme ; il fait vaciller les Français entre incrédulité et accablement. Les opérations militaires n’ont pas duré deux mois, et voici que la débâcle de Sedan met piteusement fin à la guerre déclarée par l’Empire. Quelques mois encore, et cette fois c’est la guerre menée par la République qui s’achève par la capitulation de Paris. Une guerre éclair, dont la brutalité effare un peuple sûr de sa force et qui s’était accoutumé à la victoire : la France avait tenu tête à l’Europe coalisée ; comment n’aurait-elle pas vaincu la petite Prusse ?
Ici vient mourir la légende napoléonienne.
Mais la légende révolutionnaire est, elle aussi, mise à mal : ni la poursuite de la guerre par le gouvernement provisoire, ni la levée populaire, ni l’armement des volontaires n’ont rien pu changer au désastre. La France se retrouve veuve de son intégrité et de sa gloire. » (Mona Ozouf, Jules Ferry : la liberté et la tradition, 2014, p.25)
Pour surmonter ces difficultés et emporter les suffrages du peuple français, la République investit un domaine capital : l’Ecole.
Pour ce faire, la République mènera une guerre à l’Eglise, cette dernière exerçant une grande influence sur l’éducation des Français (notamment via les congrégations).
Laïcité, gratuité et obligation ou comment la République mit la main sur l’instruction et l’éducation des jeunes Français.
La gratuité
« Art. 1. – Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d’asile publiques. Le prix de pension dans les écoles normales est supprimé. »
C’est ainsi que la loi du 16 juin 1881 établit la gratuité absolue de l’enseignement primaire. Portée par Jules Ferry, elle est présentée, par le camp républicain, comme une mesure de justice permettant à chaque petit Français de s’instruire.
Le Pays, un journal initialement républicain devenu Bonapartiste, estime dans son numéro du 7 juin 1881 qu’il s’agit « d’une loi mensongère, car la gratuité n’est qu’un leurre » et « que ce soit l’Etat, le département ou la commune qui rémunère l’instituteur, le résultat sera exactement le même, en ce sens qu’en fin de compte ce sera toujours de la poche du père de famille que sortira cette rémunération ». Un père qui « paiera les frais de cette guerre faite aux idées religieuses ».
Le 22 mai 1880 journal catholique L’Univers qui considère que la « Révolution est le mal » estime que la gratuité prônait par la République est un principe ruineux pour l’autorité de la famille » car il soustrait l’enfant à ses parents, or « la formation de l’esprit et du cœur de l’enfant, son « éducation », ce mot dont la religion et la famille seules possèdent le sens, qui échappera toujours aux instituteurs de par l’Etat est le premier devoir de la famille. »
Face à cette opposition, La Justice, un journal républicain fondé par Clémenceau, n’y va pas de main morte dans un article du 10 juillet 1880 :
« Ah ! qu’on vous reconnaît bien là, race impie, race dévote, qui semez doucereusement la haine et l’envie, la défiance et la peur, afin d’asseoir plus sûrement sur l’universelle discorde, votre insatiable domination […] Mais qu’on la vote donc au plus tôt cette loi de paix et de lumière, depuis si longtemps appelée ; c’est elle seule qui détrônera les vieux dogmes et fondera la société nouvelle. »
La gratuité sera étendue à l’enseignement secondaire avec la loi du 31 mai 1933.
L’obligation
« Art. 4.- L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie.
Un règlement déterminera les moyens d’assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles.»
L’instruction, et non l’école, devient obligatoire avec la loi du 28 mars 1882.
Une loi qui provoquait, bien avant son adoption, l’ire d’une partie des Catholiques qui accusent Jules Ferry de « forcer, sous peine de réprimande, d’affichage, d’amende et de prison, une mère de famille à confier sa fille à une Louise Michel ; un père à jeter l’âme de son enfant en pâture à la libre pensée d’un instituteur sans Dieu » (L’Univers, 25 mai 1880).
Précisons pour nos lecteurs que la « libre pensée » était synonyme d’athéisme.
Face à la résistance catholique, qui s’inquiète de l’érosion du rôle de la religion et du père de famille, certains journaux républicains redoubleront de véhémence :
« On a parlé du droit du père de famille. La loi viole, dit-on, la liberté des pères. Il est temps de faire justice de cette malencontreuse doctrine empruntée au Moyen Age, lequel tenait du vieux droit romain.
Les pères ont beaucoup de devoirs, et très peu de droits. Voilà la vérité. […] Tout le monde admet que l’Etat ait le droit de prendre au père de famille son fils, quelquefois ses fils, pour les envoyer à la frontière défendre l’intégrité du sol national, et on lui contesterait le droit de contraindre le tout petit enfant à fréquenter l’école ? » (La Dépêche de Toulouse, 2 décembre 1880)
La loi pour une École de la confiance du 28 juillet 2019 rend l’instruction obligatoire de 3 à 16 ans.
La laïcité
La loi du 28 mars 1882 exclut l’enseignement religieux dès le premier article :
Art. 1er .- L’enseignement primaire comprend :
- L’instruction morale et civique ;
- La lecture et l’écriture ;
- La langue et les éléments de la littérature française ;
- La géographie, particulièrement celle de la France ;
- L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ;
- Quelques notions usuelles de droit et d’économie politique ;
- Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ;
- Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;
- La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ;
- Pour les filles, les travaux à l’aiguille.
L’article 23 de la loi du 15 mars 1850 est abrogé
Pour rappel, la loi du 15 mars 1850 ou loi Falloux, incluait l’enseignement religieux dans son article 23 :
« Art. 23. – L’enseignement primaire comprend :
- L’instruction morale et religieuse ;
- La lecture ;
- L’écriture ;
- Les éléments de la langue française ;
- Le calcul et le système légal des poids et mesures.
Il peut comprendre en outre :
- L’arithmétique appliquée aux opérations pratiques ;
- Les éléments de l’histoire et de la géographie ;
- Des notions des sciences physiques et de l’histoire naturelle, applicables aux usages de la vie ;
- Des instructions élémentaires sur l’agriculture, l’industrie et l’hygiène ;
- L’arpentage, le nivellement, le dessin linéaire ;
- Le chant et la gymnastique. »
Lors de la rentrée scolaire du 2 octobre 1882, L’Univers déplore que « Dans l’école laïque, le crucifix et l’image et de la Sainte Vierge ont été enlevés, les pieuses sentences, les préceptes de la morale chrétienne inscrits sur les murs ont été effacés. Le maître a commencé sa classe sans invoquer le nom de Dieu que les païens eux-mêmes priaient, et si quelque écolier a fait, par habitude, le signe de la croix, il a été repris aussitôt, et peut-être puni comme d’une faute. Pour le début, un commentaire sur la déclaration des droits de l’homme, un éloge du régime républicain, a remplacé la leçon de catéchisme et la lecture de l’histoire sainte. »
Le Monde, un journal catholique qui parut entre 1860 et 1896, s’interrogeait dès le 25 mars 1882 sur l’opportunité qu’un instituteur puisse « enseigner dans une classe d’où le Christ et la prière sont bannis ».
Une question qui sera tranchée par la République avec la loi sur l’organisation de l’enseignement primaire du 30 octobre 1886 :
« Art. 17.- Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïc.

Art. 18.- Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale, soit d’instituteurs, soit d’institutrices, en conformité avec l’article 1er de la loi du 9 août 1879
Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans le laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi. »
En moins de deux décennies, la République, implacable, expulsa l’Eglise de l’enseignement primaire public et imposa sa philosophie et sa religion, la laïcité, à la majorité des Français.
Cette victoire, loin d’être acquise, est l’œuvre d’un groupe d’hommes déterminés dont Jules Ferry et Ferdinand Buisson sont les figures de proue.