L’Egypte et la pénurie d’eau, un discours contradictoire.
À la suite de nos articles sur les discours alarmistes autour des pénuries mondiales d’eau et des pénuries alimentaires au Petit Maghreb, nous continuons notre travail en étudiant le cas de l’Egypte.
Ce pays traversé par le plus long fleuve du monde est au cœur de la collapsologie mondialiste.
Les discours sont quasiment unanimes, l’Egypte connaîtra une pénurie d’eau dans un futur proche. Une pénurie qui déstabilisera l’agriculture et provoquera des pénuries alimentaires.
Une catastrophe inéluctable, précipitée et aggravée par la construction et l’exploitation du barrage de la Renaissance par l’Ethiopie.
C’est la cohérence de ce discours, largement repris par les dirigeants égyptiens, que nous allons éprouver dans cet article.
Un discours anxiogène
Les normes internationales fixent le seuil minimum des besoins hydrique à « 1 000 m3 d’eau par habitant et par an. » Or, d’après le chef d’État égyptien « ce chiffre frôle les 500 en Égypte, flirtant avec le seuil de pénurie hydraulique »
Ressources en eau des pays de la zone MENA (Middle East, North Africa)
Une situation préoccupante qui est destinée à s’aggraver puisque « d’ici 2025, l’approvisionnement en eau devrait chuter en deçà de 500 mètres cubes par habitant et par an, un niveau généralement défini comme une « pénurie absolue » par les hydrologues.
Déjà en décembre 2021 lors d’une conférence « en Haute-Égypte qui a dévoilé des plans pour développer des terres à des fins agricoles » , Al-Sissi avait « évoqué les craintes généralisées de pénurie d’eau. » .
Il a aussi affirmé que « Si Dieu le veut, il n’y aura pas une seule goutte d’eau que nous pourrons utiliser, ni aucun terrain que nous pourrons utiliser pour les cultures, que nous n’utiliserons pas » .
Afin d’optimiser l’utilisation de cette ressource rare, Al-Sissi a partagé son souhait d’interdire « les plantes décoratives » indiquant qu’« une eau de bonne qualité doit être utilisée pour les cultures » , et que « toute eau impropre à l’agriculture peut être utilisée à d’autres fins. »
L’Egypte qui « dépend du Nil pour 90% de son eau » a « affirmé qu’avoir un débit stable des eaux du Nil est une question de survie », or « les besoins de la population croissante du Caire excèdent déjà les capacités du Nil » [xiv].
Une conjoncture catastrophiste qui justifie amplement l’opposition de l’Egypte au barrage éthiopien.
Une position égyptienne partagée et promue par une sphère médiatique occidentale soucieuse du sort de ce pays millénaire…ou pas.
Conflit autour du Nil
Dans cette partie, nous constaterons comment le discours médiatique vole en éclats à l’occasion de la confrontation entre l’Egypte et l’Ethiopie, mais dans un premier temps, il nous faut contextualiser ce conflit diplomatique.
Dans un premier temps les médias nous rappellent le danger qui guette le pays : « L’eau pourrait venir à manquer dans les années à venir, à cause des bouleversements climatiques et démographiques. » [xv]
Comme à leur habitude les médias imputent les pénuries au climat et à la démographie, masquant ainsi le rôle des spéculateurs.
Mohamed Allam, ancien ministre de l’Irrigation égyptien, précise que “compromettre la part des eaux du Nil revenant à l’Égypte est une ligne rouge et n’est pas acceptable”
Barrage de la renaissance éthiopien
Cette déclaration cible le barrage de l’Ethiopie qui a pour objectif d’alimenter des centrales hydroélectriques.
Or, si « les centrales hydroélectriques ne consomment pas d’eau » , « la vitesse à laquelle l’Ethiopie remplit le réservoir du barrage affectera le débit en aval ».
Cette situation ralentira le débit de l’eau du Nil avec le risque que cela « n’altère la vie de millions d’Egyptiens en les privant d’eau. »
Pour cette raison l’Egypte ainsi que le Soudan demandent à ce réservoir su barrage soit rempli « en 15 ans pour éviter une pénurie d’eau. », alors que « l’Éthiopie, dont les besoins énergétiques sont énormes, veut aller plus vite, en cinq à six ans. » .
Les inquiétudes et les revendications de ce pays qui connait un haut niveau de stress hydrique sont légitimes.
Niveau de stress hydrique par pays africain
Une dissonance dans le discours
On pouvait s’attendre à ce que la « communauté internationale » se tienne au côté de l’Egypte tant la situation présentée semble gravissime, or l’Ethiopie a pu construire son barrage et les arguments des dirigeants égyptiens sont balayés d’un revers de la main.
Ainsi l’Egypte serait uniquement motivée par des raisons géopolitiques : « Le récent conflit à propos du barrage éthiopien ne fait qu’aiguiser les tensions entre Le Caire et Addis-Abeba, l’Égypte voyant d’un mauvais œil la naissance d’une nouvelle puissance africaine, l’Éthiopie et ses 100 millions d’habitants. Avec son barrage, elle obtient ainsi une voix au chapitre dans les discussions sur l’avenir de cette région. »
Marc Lavergne, chercheur au CNRS, va encore plus loin en déclarant à France 24 : « l’activation du barrage va démontrer une bonne fois pour toute que l’argumentaire égyptien ne tient pas. Ces derniers affirment que le projet risque d’occasionner des problèmes d’approvisionnement en eau. Or l’Égypte n’est pas du tout en situation de pénurie potentielle. Il y a effectivement des problèmes d’approvisionnement mais qui sont avant tout liés à des infrastructures défaillantes et à une mauvaise optimisation, car l’eau est gratuite en Égypte et ne passe pas par un opérateur. »
De son côté, l’Institut Mondial des Ressources ne situe pas l’Egypte dans les pays qui risquent de connaître une pénurie d’eau en 2040. On remarquera que la France est plus à risque…
Carte des risques de pénuries d’eau en 2040
Conclusion
Face au problème posé par ces deux discours inconciliables, il ne peut y avoir que deux solutions possibles :
1/ L’Egypte est réellement dans une situation critique et le barrage constitue un danger existentiel.
2/ Le pays ne craint pas les pénuries et le discours anxiogène des médias et des autorités qui vise à habituer les Egyptiens à des privations est totalement infondé.
Dans les deux cas, le peuple égyptien est la grande victime.